Les sons de Saturne – CNES /LESIA

Une partie des données détectées dans l’espace, notamment, les ondes radio,  peuvent  correspondre à des sons. Les scientifiques les traitent  en tant que données, mais sans toujours s’attacher à leur caractère sonore. Pour le musicien, ils peuvent recéler un potentiel  musical. L’idée de cette rencontre entre une approche scientifique et une approche artistique serai d’offrir une approche sensorielle de ces données.

Deux lunes de Saturne, photogrphiées par la sonde Cassini, apparaissant particulierement petites © NASA/JPL/Space-Science-Institute
Deux lunes de Saturne, photogrphiées par la sonde Cassini, apparaissant particulierement petites © NASA/JPL/Space-Science-Institute

Suite au projet Intégration, l’Observatoire de l’Espace, le laboratoire arts-sciences du CNES (Centre National d’Etudes Spatiales) m’a mis en relation avec Philippe Zarka, un Scientifique du LESIA (Laboratoire d’Études Spatiales et d’Instrumentation en Astrophysique/Observatoire de Meudon). Il travaille sur la radioastronomie et en particulier sur la magnétosphère et l’ionosphère des planètes et notamment Saturne par l’intermédiaire, en autre, du SKR le rayonnement Radio auroral Kilométrique de Saturne. Il dispose de captations radio qu’il a transposées dans la gamme des fréquences audibles. Ils sont présentés sous la forme de représentations graphiques et sonores simultanées. De nombreux autres exemples sont disponibles sur sont site « Les chants du cosmos« .

L'anneau principal de Saturne ©-NASA/JPL-Caltech/Space-Science-Institute
L’anneau principal de Saturne ©-NASA/JPL-Caltech/Space-Science-Institute

 

 

 

Processus sonore appliqué à l’ensemble des échantillons :

J’ai opéré de la façon suivante : chaque échantillon est issu d’une seule captation d’onde radio qui rend compte de l’activité électromagnétique de la planète. Ce fichier informatique est transposé par Philippe Zarka suivant deux façons : linéaire et logarithmique. La transposition linéaire garde les mêmes proportions entre fréquence basses, moyennes et hautes, entre les fréquences radios captées et les fréquences audio qui en résultent. La transposition logarithmique a tendance à favoriser les hautes fréquences, au détriment des basses. La résultante est qu’elle peut être plus bruitée que la transposition linéaire (trop de fréquences aiguës) mais plus claire (pas trop de fréquences graves) sans que ce soit systématique. De surcroît, elle se rapproche plus de notre système perceptif. Ensuite ces deux fichiers sont eux même dupliqués en deux, puis filtrés. Ainsi d’une seule source radio au départ, j’obtiens au moins 4 fichiers son différents, c’est-à-dire 2 fichiers stéréophoniques, donc déjà de quoi pouvoir faire des choix, en privilégiant l’un ou l’autre lors du mixage. Je peux également modifier la réparation spatiale des fréquences en effectuant des panoramiques (gauche-droite).

Sur ces éléments, j’opère toute une série de « nettoyages » en soustrayant par filtrage des fréquences sur-représentées, parasitaires et essayant de minimiser les artefacts sonores liés à la captation ou la transposition des ondes radios.

A noter que les fichiers image/son de Philippe Zarka et mes fichiers sons ne sont pas à la même échelle temporelle. Mes extraits donnent à entendre des détails des premiers de façon à ne pas souffrir de phénomène de compression temporelle, d’où la différence de nature sonore.

 

SKR 2005 Période : Emissions radio de très basses fréquences, périodiques, issues de la magnétosphère de Saturne

Description : Une rotation de Saturne lors d’un survol de Saturne par Cassini : l’émission radio aurorale balaye la sonde à chaque rotation comme le faisceau d’un phare, matérialisant la rotation planétaire. Au passage au plus près de la planète, Cassini sort du faisceau auroral mais détecte une émission à bande étroite qui provient de l’ionosphère de Saturne.

Restitution image/son par Philippe Zarka :

Version sonore (uniquement) par EC :

Pour ce fichier, la reconstitution est basée à 80% sur la transposition sonore linéaire qui se cantonne dans les aigues. La partie logarithmique est mixée jusqu’à 30% pour redonner une assise grave, mais le plus souvent, elle n’est que sous mixée à 5% car trop riche, trop bruitée (trop de fréquences, toutes les fréquences). Avec un mixage normal paralèlle, elle aurait eu tendance à brouiller toute l’ « image sonore ». La stéréo est basée sur la duplication de la piste d’origine transposée d’un demi-ton et panoramiquée manuellement en fonction des événements sonores.

Les faisceaux saturniens sont des moments denses et massifs qui surviennent toutes les 1,30 à 2 minutes, un seul est présenté dans cet extrait qui correspond environ à deux heures en temps véritable.

L'anneau de Saturne et la petite lune Prometheus © NASA/JPL/Space-Science-Institute
L’anneau de Saturne et la petite lune Prometheus © NASA/JPL/Space-Science-Institute

 

SKR 2005 Flyby : Survol par la sonde Cassini

Description : Survol de Saturne par Cassini: les « blobs » d’émission kilométrique aurorale (à haute fréquence et à large bande) s’interrompent au passage au plus près de la planète. Le « blob » à basse fréquence observé près de la planète est produit dans son ionosphère.

Restitution image/son par Philippe Zarka :

Version sonore (uniquement) par EC :

La reconstitution est basée à 80% sur la transposition sonore logarithmique qui offre un large spectre complété par la transposition linéaire qui apporte la brillance et les infra graves sauf dans des moments où cette piste est trop bruitée. La stéréo est basée sur la duplication de la piste logarithmique à laquelle est appliquée un filtrage en peigne opposé de chaque côté. L’extrait est centré sur un seul « blob » d’une durée réelle de 8h environ.

 

Turbulences dans l'atmosphère de Saturne © NASA/JPL/Caltech/Space-Science-Institute
Turbulences dans l’atmosphère de Saturne © NASA/JPL/Caltech/Space-Science-Institute

Sat 2003 LF : Emissions radio basses fréquences semi-organisée

Description  : Emissions radio basses fréquences produites par des électrons en mouvement dans la magnétosphère de Saturne. Elles se propagent au loin et sont ici détectées à plus d’une unité astronomique de distance (environ 150 millions de km) lors de la phase d’approche de Cassini.

Restitution image/son par Philippe Zarka :

 

Version sonore (uniquement) par EC :

Il n’y a pas vraiment une forme précise du phénomène mais plutôt des changements de densité des émissions radio. Le résultat évoque certaines formes de musique contemporaine, alliant à la fois des changements permanents dans les détails et une impression de non changement à une échelle plus globale.

Pour la transposition linéaire du son, la piste mono a été portée en stéréo et j’ai appliqué un filtrage en peigne opposé de chaque côté (à gauche ne sont qu’une moitié des fréquences et à droite l’autre moitié).
La partie logarithmique a été dupliquée en 3 pistes. 2 pistes ont subi le traitement habituel avec filtrage en peigne pour simuler une stéréo auquel j’ai appliqué une soustraction des fréquences médium/haut-médium pour donner un couleur hi-fi. La piste mono a été filtrée pour accentuer les fréquences basses. L’ensemble a été fortement panoramiqué.

 

Les anneaux et les lunes Mimas et Pandora ©-NASA/JPL/Caltech/Space-Science-Institute
Les anneaux et les lunes Mimas et Pandora ©-NASA/JPL/Caltech/Space-Science-Institute

SKR 2008 289  : Bruit large bande

Description  : Zoom sur le riche « zoo » d’ondes radio basses fréquences détectées lors d’un survol de Saturne par Cassini: autour du bruit large bande détecté lors de la traversée du plan équatorial, les émissions à bande étroite s’échelonnent à des fréquences discrètes.

Restitution image/son par Philippe Zarka :

Version sonore (uniquement) par EC :

Ce fichier est un work in progress. J’ai pris le parti de mixer à partir principalement de la transposition linéaire qui offre une caractéristique de vibrato à fréquence constante qui ressemble à une onde carrée. Nous cherchons à vérifier si cette option est la bonne ou si elle laisse une trop large place à un phénomène de type artefactuel. Je proposerai certainement une autre version ultérieurement.

Enceladus satellite de Saturne © NASA/JPL/Caltech/Space-Science-Institute
Enceladus satellite de Saturne © NASA/JPL/Caltech/Space-Science-Institute

SKR 2008 Drift  : Electrons s’éloignant de Saturne

Description  : Emissions radio de très basses fréquences dans la magnétosphère de Saturne. Les fréquences émises « dérivent » au cours du temps, suggérant que les électrons qui les produisent s’éloignent de la planète.

Restitution image/son par Philippe Zarka :

 

Version sonore (uniquement) par EC :

J’ai procédé de façon similaire aux exemples précédents en laissant une prédominance à la transposition logarithmique. Cependant, du fait de la prégnance d’un son identifié comme artefact à un niveau plus important que dans les autres exemples, j’ai décidé d’en décaler son timbre (sa couleur sonore). Je lui ai donc appliqué un modulateur en anneau pour évoquer un bruit de fond radio, de façon à ce que le phénomène observable de « dérive » soit plus évident. En termes musicaux cette « dérive » produit un glissando descendant.

 

Nuages de l'atmosphère Saturnien © NASA/JPL/Space-Science-Institute
Nuages de l’atmosphère Saturnien © NASA/JPL/Space-Science-Institute

Sat 2009 SED : Un orage atmosphérique Saturnien

Un orage atmosphérique Saturnien très actif passe, du fait de la rotation de la planète, en vue de Cassini puis disparaît. Des milliers d’éclairs d’orages sont détectés en radio comme autant d’impulsions très brèves et à large bande. Elles apparaissent comme des segments sur le spectre dynamique car il est obtenu par des balayages successifs de la bande de fréquences.

Un extrait de Sat 2009 SED choisi à un endroit dense, les occurrences et profils d’intensité des éclairs sont appliqués comme une fenêtre temporelle sur un bruit rose. Les événements, les éclairs sont « à la vitesse réelle » des enregistrements physiques. Ici tout le travail a été fait par Philippe Zarka à part la spatialisation. Une partie encore en devenir.

 

Le vortex du pôle nord de Saturne © NASA/JPL/Caltech/Space-Science-Institute
Le vortex du pôle nord de Saturne © NASA/JPL/Caltech/Space-Science-Institute

 

L’intervention d’un artiste dans un dispositif scientifique ?

Lorsque j’entends un fichier son provenant de l’espace, j’entends surtout des artefacts numériques plus qu’un son organisé. Ma déformation professionnelle me permet d’identifier qu’il s’agit d’artefacts numériques, mais pour le quidam la sensation correspond à l’écoute de sons rêches voire agressifs qui peuvent le rebuter. Ainsi, dans les échantillons qui m’ont été soumis, j’identifie de manière évidente la couleur particulière d’un phénomène de compression temporelle (time stretching), la couleur d’un de-noiser (une sorte de réverbération caractéristique d’un logiciel de nettoyage) ou parfois une sorte de saturation numérique.
Bref, j’ai l’impression d’entendre l’arbre qui cache la forêt, l’arbre étant les artefacts numériques et la forêt étant le phénomène physique qu’on est censé écouter.
Or, une partie de mon activité de musicien électroacousticien consiste en des opérations de nettoyage de fichiers sons, ce qui, en d’autres termes, peut s’appeler également « mastering ». Dans ce cadre, ce qui est artefact numérique est réduit par une foule de méthodes. Par exemple, le traitement des données, permet d’écouter 25 heures de sons en 25 secondes par l’opération mécanique d’un algorithme. Son utilité est évidente, cependant, ce genre de « time stretching » génère un son caractéristique qui vient en quelque sorte, colorer, voire masquer le son du phénomène lui-même. Alors bien sûr, nous sommes face à une question de représentation, pas face à une question de réalité, il ne s’agit pas de « sons » directs de Saturne mais, le fait de transposer vers la sphère audio, renvoie à la perception que nous avons des sons dans notre expérience quotidienne, justement. Notre sphère audio induit une dimension psychoacoustique, les sons sont inévitablement interprétés en beaux, laids, doux, agressifs… Or, il serait dommage que du fait du « time stretching », par exemple, les sons de l’espace soient interprétés comme agressifs, voire, en exagérant un peu comme seulement des grésillements pour une oreille peu avertie. Mon travail ne vise pas à rendre les sons délibérément plus doux comme résultat d’une volonté, d’un choix esthétique, mais retirer les artefacts y contribue mécaniquement. La soustraction des artefacts numériques (qui sont, en général, des pertes de données (99,99% pour l’exemple des 25 heures en 25 secondes)) enlève des rugosités qui ne sont pas forcément inhérentes à la source, et enlever ces artefacts rend les sons parfois plus beaux et plus doux. Mais, le contraire également peut être nécessaire : réintroduire du bruit, c’est-à-dire du chaos dans un enregistrement qui le suggère. Philippe Zarka a fait quelque chose de semblable en reconstituant les éclairs de Saturne par une projection des données sur du bruit blanc ou rose.

Ainsi, cette entreprise vise juste à changer la perspective du fichier sonore, faire en sorte de ne pas voir l’arbre en gros plan et se prendre une branche dans l’œil, pour contempler la forêt des sons de l’espace.

Les « descriptions » sont originellement de Philippe Zarka, mais réadaptées à chaque extrait sonore.

Les photos sont des photos NASA, fournies par le CNES dans le cadre de ma résidence à l’Observatoire de l’Espace du CNES. Elles ne peuvent être réutilisées sans autorisation écrite de leur part.