CLOCHES DE TOURMENTES – Musique du Lieu III

En janvier 2018 Denis Tricot et Eric Cordier sont allés travailler dans 4 hameaux des contreforts du mont Lozère, Les Sagnes, Serviès, Auriac, Oultet afin de réaliser des explorations sonores et une enquête auprès des habitants. Nous avons passé une semaine à cheminer à pied d’un clocher à l’autre, à faire sonner les 4 cloches et les différents matériaux rencontrés dans les villages. Nous avons cherché la musique dans le bois, dans l’eau, dans les pierres. Nous avons eu par chance vent et neige abondante. Eric a tout enregistré même certains échanges avec les habitants. Nous avons photographié le temps et les paysages, les murs et la neige, les chemins et les maisons. Les enregistrements ont été réalisé en micros subjectifs, une technique qui a été expérimentée par Christophe Grosos.

 


Spectacle :

24 juin 2018, restitution grand format au sommet du Mont Lozère dans le cadre de la fête de la Transhumance :

  • Instalations
  • Concerts électroacoustiques
  • Photographies
  • Scultures

Une aventure Musico-Ethno-Historique :

Nous ne savons toujours pas pourquoi elles ont été installées et nommées comme cela car de toute évidence, en cas de tourmente, on ne les entend guère en tout cas pas à une grande distance. Nous avons quelques indications pour leurs utilisations, des utilisations civiles, parfois religieux. Nous pensons que l’appellation « cloche de tourmente », si elle est saisissante, ne correspond pas à leur fonction.

Lorsque ces deux musiciens travaillent sur les Cloches de Tourmentes de Lozère, ils ne peuvent aborder un tel sujet sans  prendre en compte les interactions avec les contextes sociaux et géographiques, l’histoire qui l’ont façonné ainsi que les habitants… et ce qu’ils constatent ne va pas de soi…

Dans ce projet, il y a d’abord la tourmente. Ils ont choisi d’affronter cette dernière en venant sur place à la charnière de janvier et février pour l’éprouver, constater quelle est la force des éléments… Car la tourmente est une très forte tempête de neige qui empêche de voir et qui égare. La légende veut que des cloches aient été utilisées l’hiver pour guider les voyageurs à bon port… Cloches de Tourmentes est l’expression que tout le monde utilise, tant les habitants, les folkloristes que les offices de tourisme. L’expression est belle, elle est forte, elle fascine, mais en creusant les choses, ils sont tombés sur une série de contradictions et d’approximations.

Tout d’abord, les témoins encore présents dans ces villages n’ont pas entendu ces cloches dans leur usage de tourmente… Les témoins ne peuvent nous parler que d’usages religieux : le glas, ou civil : appel pour l’école ou d’une femme pour signifier à son mari que le repas du midi est prêt. Les cloches de tourmentes auraient été sonnées (le conditionnel est de rigueur) en 1984 pour 2 moines étrangers au pays, dont personne ne savait qu’ils étaient en randonnée, dont la disparition a été rendue publique sans doute plusieurs jours après leur mort, et donc dont personne ne pouvait savoir qu’il fallait actionner les cloches de tourmentes. Ensuite, il n’y a plus de témoins directs pour le cas de deux institutrices décédées dans la neige en 1941.

Pour ces 2 exemples, il est possible que les moines aient été recherchés à l’annonce de leur disparition, c’est même sûr et sans doute longtemps après leur mort. Pour les institutrices, le drame s’est passé au sud du Mt Lozère, donc on ne peut pas en parler là.

Par faible vent contraire, les musiciens ont constaté qu’au-delà de 200m, la cloche est difficilement audible, alors qu’en est-il à plusieurs kilomètres? Lors de l’enquête, André Saint-Léger, à la fois historien amateur et guide  de moyenne montagne de son métier confirme que lors de la tourmente, le bruit du vent couvre tout et que le réflexe de l’humain qui y est soumis est de se protéger du vent au maximum en se recroquevillant dans sa capuche.

Les Cloches de Tourmentes sont sans doute qualifiées par un usage qu’elle n’ont jamais eu…  Ensuite, l’édifice de la Cloche de Tourmente cultive une singularité qui fait figure d’exception en terre chrétienne. Ces clochers sont des édifices civils, décrits comme tels et comportant rarement de signes chrétiens (les 4 cloches sont tout de même consacrées). Les clochers ne sont pas connectés à des édifices religieux. La cloche d’Oultet ressemble extérieurement à une chapelle : un édifice longitudinal coiffé d’un clocheton avec une niche pour la vierge. De l’extérieur, on s’y tromperait, cependant à la place du chœur, on trouve un four à pain et la « nef » est une petite salle de banquet.  Les Cloches de Tourmentes ne sont ni des édifices religieux, ni associés à des édifices religieux et de plus il n’y a aucun édifice religieux dans ces villages qui ont compté jusqu’à une centaine d’habitants. Ça n’étonne pas les habitants, mais pour qui vient d’ailleurs, on est surpris de l’absence de chapelles ou d’églises, alors même que ce contrefort du mont Lozère est une frontière religieuses : de l’autre côté se trouvent les Cévennes protestantes. La raison invoquée à l’absence de lieux de culte serai les guerres de religions qui les auraient détruits. Or quelle autre région n’a pas reconstruit les églises durant les quelques siècles qui ont suivi?  Cette microrégion constitue donc une exception de la gestion des lieux de culte, et de la sonnerie de la cloche qui régissait la temporalité de la vie. Il ne semble pas y avoir eu d’étude d’histoire localement et il y aurait, pour nous aider à comprendre, besoin d’un travail comme celui d’Alain Corbin…

Ce travail reste à faire…