La lenteur – comme moyen d’étirer le temps et par ses possibilités multiples – est un outil important. Elle permet de construire un point de vue sur cette continuité en agençant, presque ton sur ton, de petites variations qui, une fois développées, aboutissent à des espaces-temps radicalement différents.
Comme point de départ à La Lenteur des nus il y eût d’abord Breizhiselad, une musique électro-acoustique d’Eric Cordier, composée à partir d’un vieux disque vinyle retrouvé : chants religieux de Bretagne de la fin du XIXème début XXème siècle.
Outre l’omniprésence d’un chœur de voix qui s’est transposé dans La Lenteur des nus par la formation d’un cortège – se greffent une série de sons concrets tel le vent, la voix et les pas du compositeur lors de ses prises de sons, le crissement d’un sable coquillier, une bestiole. Cette musique, par sa construction et les éléments qu’elle travaille minutieusement, est une plongée dans une matière complexe : le support d’un disque vinyle comme vecteur de mémoire, son usure, le thème de la musique traditionnelle collective, la présence physique du compositeur (à la fois témoin et auteur), les problèmes techniques rencontrés d’un nuage de craquements (ceux du disque d’origine) qui s’accumulent lors de la composition, etc. —autant d’éléments que la danse a repris à son compte.
Si l’imaginaire évoqué par Breizhiselad, son empreinte physique (rythme), l’application au détail, la réduction et la répétition forment l’armature de la lenteur des nus, dans certaines situations de représentations (en extérieur par exemple), nous n’avons plus recours à la musique.
La Lenteur des nus est un cortège et travaille un pas méticuleux, à l’unisson des corps, qui sert de base. En dehors de ce pas, le cortège n’est pas une partition écrite : il se travaille à chaque traversée, et ses enjeux dépendent clairement du contexte où il est fait.
La Lenteur des nus est un film, ou un spectacle, ou une performance et peut être fait avec ou sans public.
La Lenteur des Nus puise son inspiration dans le frottement de choses qui ne sont pas faites pour aller ensemble ! Elle s’intéresse à tout lieu possible pour sa représentation : théâtre, galerie, bâtiment désaffecté, rue, place publique, usine, champ,… surtout ne pas faire de tri préalable sur des situations « intéressantes » ou non et privilégier une double action possible en simultanée : tandis que nous « cortégeons », d’autre(s) sont absorbés dans une seconde tâche. Cette tâche-contrepoint et ces « autres » peuvent être déterminés dans le cas de spectacle, mais dans la plupart des cas, ils sont trouvés « en vol » !
Voici un exemple d’un cortège proposé dans un parking, avec la caméra comme témoin d’une situation non préméditée : en contrepoint à notre cortège, la présence d’un homme qui répare sa voiture en plein milieu du parking. Même rêvée, si elle avait été penser et construite, cette situation idéale ne serait arriver !
La Lenteur des Nus – Paris, octobre 2014. from Lotus EDDE KHOURI on Vimeo.
Selon chaque situation il faut trouver le mode de représentation adéquat : corps nus ou habillés – si habillés, le plus quotidiennement possible (ce qui veut dire quotidien pour chacun, comme l’on descend du train !), utilisation ou non de la musique, durée à définir en amont (de 35 minutes à plusieurs heures voire plusieurs jours), lumière, actions fonctionnelles pour changer la perception du spectateur, utilisation de la voix ou du texte et choix du parcours à traverser.
Par la simplicité de la forme du cortège et du pas de base, La Lenteur des Nus est un outil parfait pour s’intéresser à plusieurs problèmes à la fois, même et surtout si des contradictions apparaissent. Du tout à un autre tout en passant par le pas ! Du signe, de la chorégraphie, du rituel, de la géométrie, de l’état des lieux choisis à l’ état des corps en jeu, aux sentiments humains, à quoi l’on pense quand on fait cela (« est- ce que l’on est dedans ou pas ? »), du geste abstrait, de la rigueur imposée, au sens commun, au refus du décor (tout est décor), de la lenteur à la répétition, de la mémoire collective, de la force des images, de la virtuosité par la durée, à l’in/différence entre soi, et entre soi et le milieu…
La lenteur des nus est d’un équilibre fragile : à partir du « pas de base », un ensemble de précisions s’applique à des presques-riens puis s’agence et se trame. Dans le flux du cortège, dans le cours de la lenteur, cette trame finit par fonctionner comme un crible : tout se qui ne casse pas l’échaffaudage à la fois fragile et secret est envisageable, tout ce que le crible laisse passé est possible et même recommandé … un fourre-tout mais passé au crible ! Tel un équipage anarchique qui sur un bateau pourrait faire n’importe quoi pourvu que le bateau ne coule pas.
Texte de Lotus Eddé Khouri
https://lotuseddekhouri.com/LA-LENTEUR-DES-NUS
– Résidences à Micadanses, à la Parole Errante et Ackenbush sur les principes du cortège.
– Film dans un parking, 6 corps habillés, avec un contrepoint non prémédité
– Présentation à Ackenbush, 3 corps nus, durée 2 heures, avec la musique de Eric Cordier.
– Résidence au Théâtre Monty
– Film sur une place publique, 6 corps habillés , durée 1 heure.
– Performance programmée dans un parking, public assis autour, 6 corps habillés, durée 30 minutes, lumière in situ du parking, minuterie.
– Film pendant l’installation d’un concert dans une cave au sous-sol, contrepoint prémédité, 3 corps nus, durée 35 minutes.
– Atelier de transmission du cortège sur une demi journée avec un groupe de 10 participants et présentations et film dans la gare et devant le musée d’art Roger-Quilliot de Montferrand , durée de chaque cortège 1 heure, corps habillés (code couleur) , lumière in situ.
– Centre national des arts plastiques (nouvelle adresse)