Environnements sonores 3 – 1994-95

Ce n’est plus ma musique qui parle, c’est ma musique qui fait parler le lieu.

Durant les années 1993 et 94, la mise à disposition d’un atelier de plusieurs centaines de m2 en plein Paris, gracieusement prêté par la famille Lopato, va permettre un vaste champ d’expérimentation et d’entraînement (notamment pour Nadir).

 

Il va en résulter pour les Environnements Sonores une révolution interne,   la musique n’étant plus au centre de la problématique. J’utilise alors des sons de très basses fréquences dont la source instrumentale (instruments à cordes principalement) n’est plus identifiable. Les prises de son sont transposées dans le grave, jusqu’au seuil de l’audition. Au stade final de leur transformation, certains sons ne sont plus audibles et d’autres ne peuvent plus être transmis par les membranes des haut-parleurs. Ainsi je ne diffuse plus de la musique, mais mon intervention vise à révéler le son du lieu, à révéler les caractéristiques de l’espace dans lequel j’ai construit l’environnement. Ce n’est plus ma musique qui parle, c’est ma musique qui fait parler le lieu. Les haut-parleurs sont placés au sol ou plaqués contre les murs, les lambris. Cette « musique » paradoxale (en huit pistes) est transmise par les haut-parleurs aux matières constitutives des lieux.

Ces matières, suivant leurs natures, apportent différentes réponses acoustiques. La bande magnétique et la musique sont donc les déclencheurs permettant de révéler l’identité du lieu. La salle devient la caisse de résonance dans laquelle est immergée le visiteur. Le visiteur est sollicité tant par les sens de la vue, de l’ouie que par le sens du toucher.

 


1994

OXALIS 

Paris, rue du faubourg St Martin

Environnement « Oxalis » du 19 au 21 mai 1994, au cours d’une manifestation collective et pluridisciplinaire au 252 rue du faubourg St Martin, Paris :

Alors que pour mes pièces antérieures, je n’ai fait que réaffirmer leur caractère musical, Oxalis est mon premier travail sonore pouvant échapper au domaine musical. Oxalis se pose avant tout comme une expérimentation sonore. L’idée ici a été de construire une « musique » exclusivement en fonction de la réponse prévisible de l’environnement.

Oxalis est donc bâti sur des paradoxes sonores :

– Pour une part, Oxalis utilise des sons que nous n’entendons pas, inférieurs à 20 Hz. Au début, nous ne percevons rien. Ensuite, associé à des harmoniques (fréquences plus aiguës), nous ne percevons que de lentes oscillations.

– D’autre part la tessiture de la musique (pour l’essentiel inférieure à 200 Hz) est en contradiction avec le matériel utilisé. Les haut parleurs que j’emploie (médium et aigüs) sont peu adaptés à transcrire les fréquences choisies. En plus de ne pouvoir sortir de la plupart des haut-parleurs, les basses fréquences (de par leur énergie) vont s’opposer à la sortie des fréquences plus élevées. En quelque sorte, les sons utilisés sont bien plus à côté des haut-parleurs, que les fréquences aiguës n’étaient à côté de nos oreilles dans les musiques précédentes.

 


Une musique induite.

Malgré ces caractéristiques extrêmes, il n’y aura pas : « rien à entendre », mais une chose est certaine, la musique diffusée de la sorte est très éloignée de celle enregistrée. L’auditeur est placé au centre d’un dispositif : la pièce, organisée comme un résonateur, mis en vibration par la musique de la bande magnétique (celle-ci étant peu perçue). La musique est donc une musique induite bien plus qu’une musique directe (dispositif habituel d’écoute).

La musique perçue sera, au sens propre, celle des haut-parleurs (et de la pièce) bien plus que celle qu’on leur envoie. Une distorsion ne manquera pas d’apparaître entre le résultat effectif et le résultat prévu (en fonction de mes expériences précédentes et du lieu choisi). La bande magnétique à été composées en fonction des caractéristiques du lieu constitué de planchers et de lambris.

 

Devant ce travail résolument expérimental, peut-on encore parler de musique? Prenons l’élément le plus préhensible, la partie fixée sur bande magnétique. Il s’avère que les principales notions qui définissent le musical, les notions de rythme, de timbre perdent ici tout leur sens. Le rythme devient difficile à cerner quand les attaques trop graves s’amollissent et s’effacent. Un timbre privé de ses harmoniques (qui le définissent), n’est plus qu’un son fondamental isolé, pauvre, ayant perdu toute identité. A fortiori, dans cette gamme de fréquences, les notions de tonalité ou d’harmonie n’ont également plus de sens.

Malgré ces faits, ou plutôt cette incapacité du langage musical, j’aimerais être encore autorisé à parler en termes de musique. Au-delà des sons induits (ceux qui sont perçus), il ne faut pas oublier la musique sous-jacente qui n’est pas perçue, et moi qui l’ai faite, moi qui la connais, j’ai envie de vous en parler. Et comment mieux vous en parler qu’en disant qu’elle est très belle, très douce? Comment mieux vous en parler qu’en vous la décrivant pour vous permettre de l’imaginer : une musique éminemment organique, une musique qui n’est constituée que de ventres, de nœuds et de battements?

-Installation 7 : 60 haut-parleurs

-Disposition dans une salle en plancher et lambris, sur l’escalier d’accès et dans le vide jusqu’à l’étage inférieur.

-durée d’exposition de 3 jours.

Dans le cadre d’une manifestation/exposition collective avec : Charrier Olivier, Guionnet Jean luc, La casa Eric, Loilieux Eric , Maupoux Cécile, Medosem, Pouzolles Caroline…

Création de la musique Oxalis, co-production La Grande Fabrique (Dieppe) Février 1994.

 

OXALIS    60 : 00

 

 

 


1995

EPILOBE

Hôtel du Commerce, rue des Cinq Diamants, Paris 13ème :

-du 10 au 30 juin 1995 de 10 à 18h (Le dimanche ouverture à 14h)

-Dans le cadre de la manifestation : Urbain 1 : 15 artistes autour d’un réverbère

avec Paul Bloas, Sophie Gillery, Katsuji Kisida, Erin Lawlor, Florian Le Hir, Gustavo Nieto…

 

Pour Epilobe, j’investis l’Hôtel du Commerce, de la cave au deuxième étage, déployant un environnement sonore constitué de 100 à 200 haut-parleurs. A strictement parler, mon travail n’intervient pas à l’échelle du quartier, mais se concentre sur un point de celui-ci, entre dans l’intimité d’un lieu. Intimité toute relative puisqu’il s’agit d’un lieu privé, mais ouvert au public, un bar, un hôtel.

Un quartier ne se définit pas seulement par un ensemble de rues et d’îlots. Le quartier existe aussi derrière les murs et les portes, dans le sous-sol, sous les planchers et les combles. L’identité de la Butte au Caille ne réside pas seulement dans ses rues pavées où le kitsch d’une inscription « Fabrique de chaussures et galoches ». Un quartier peut se définir également dans le grain de sa pierre ou la nature de sa poussière.  Je ne travaille donc pas à l’échelle globale du quartier, mais à celle de ses composants, essayant de vous faire pénétrer un lieu et de vous faire éprouver ses constituants.

L’hôtel du Commerce, inutile de chercher dans l’annuaire, vous ne l’y trouverez pas, il n’est pas abonné au téléphone. Il s’agit pourtant bien d’un hôtel avec son bar, des chambres à louer. Le visitant, j’ai vu une porte entre ouverte. Je suis entré. Il s’agissait de l’une des chambres de l’hôtel comme pouvait l’attester la fiche de la préfecture de police avec le prix etc.… Le lit était défait, une chaise renversée dessus, de la monnaie sur la cheminée, un journal « l’équipe » posé à terre, l’odeur… tout me faisait penser à la proximité du départ de son occupant. Le propriétaire devait vite me détromper, m’apprenant que cette chambre n’avait plus été occupée depuis deux ans.

Le lieu d’Epilobe, ici cet hôtel, peut être simple, double, multiple, peu importe, l’essentiel pour mon propos est qu’il ne soit pas neutre et s’il est désaffecté, qu’il conserve les traces de son activité, la superposition de ses précédents usages sur les murs, l’usure du plancher, la crasse déposée par le temps et le travail. En un mot, l’important est qu’il soit vivant (même s’il était, avant notre arrivée, un peu en sommeil). Un environnement comme Epilobe ne cherche pas un lieu vide, un lieu neutre, bref un lieu mort telle une galerie, pour se mettre en valeur. Il ne vise pas à s’imposer face à un espace, mais cherche à croiser un dialogue avec lui. L’élément technologique de l’environnement, par exemple, associe ses caractéristiques à celles du lieu, en souligne certaines et le ramène à la vie.

La musique ici est présente, non pas que nous l’entendions (nous ne l’entendons qu’à peine) mais plutôt elle constitue le révélateur d’un lieu faisant, par l’intermédiaire de ses vibrations, éprouver toutes les matières de la salle : bois, verre, fer, plâtre, toutes leurs textures : lourdes, légeres, compactes, denses…

 

Dans la cave, ceci est complété par la prise en considération des paramètres sonores fonctionnels qu’elle génère. Dans une certaine mesure ce qui est recherché c’est de faire entrer en résonance (au propre comme au figuré) un espace avec une musique. Sur le plan sonore ou visuel, Epilobe n’impose rien, Epilobe n’apporte rien (ou si peu). L’environnement n’est là que pour vous faire ressentir la matérialité ou l’immatérialité du lieu. C’est tout.

 

Les éléments musicaux sont composés à la Grande Fabrique (Dieppe). Pour Epilobe, j’ai reçu la collaboration de Eric La Casa et Jean-Luc Guionnet pour des musiques additionnelles.