Un Nom A Coucher Dehors UNACD

« UNACD est de ceux qui matérialisent cette convergence entre une modernité qui implose et un folklore réifié à l’extrême, atomisé… Leur doute systématique et leur sens du dérisoire avec pour contrepoids un authentique amour des CHOSES considérées dans leur solitude, extraites de leur gangue culturelle et séculaire. »

Jean Pierre TURMEL

 

UNACD est un groupe à géométrie variable centré sur la musique mais ouvert sur des pratiques plastiques : gravure, photographie, performance, sculpture, environnements sonores, oulipo…

Il a rassemblé les acteurs suivants, mais jamais tous en même temps : Eric Cordier, Christophe Grosos, Jean-Yves Delamer /JYD, Mélina Doudoux, Luc Thiburs , Lionel Thiebaut Vincent Legrand, Patrick Sorel , Vincent Vivien

 

Le nom  UNACD

La fin des années 70 avaient vu une surenchère de noms improbables pour désigner les groupes comme Einstürzende Neubauten, ou Déficit Des Années Antérieures. Choisir ce nom était une façon de s’inscrire dans la tradition avec une pointe d’ironie. Nous ne faisions pas que suivre une « mode », mais signifions par la même que nous n’étions pas dupe du procédé, le nom du groupe signifiant lui-même un groupe au nom alambiqué. Les titres des albums vont venir s’insérer dans la locution complète : Un Nom à Coucher Dehors avec un billet de logement à laquelle aurait pu s’ajouter « par un froid de canard » si nous avions continué.

 

La musique

La musique se situe à la croisée de différents genres : électroacoustique, industriel, improvisé.

 

Live

J’ai perdu la trace des documents relatifs aux lives qui ont été au demeurant assez rares. Il reste comme trace essentiellements les publications et au niveau des lives, les environnements puisqu’ils ont perduré ensuite ainsi que quelques photos de l’expos des EPE.

Unacd Expos EPE 3 Unacd Expos EPE 16

 

 

Publications :

1988

Sans Titre, C45

 

 

 

 

 

Eric Cordier : Bandes, Guitare, Voix, Cor,  Traitements, Mixage (Grame Lyon)

Vincent Legrand : Guitare, Violon

Vincent Vivien : Clarinette, Clarinette Basse, Alto Sax, Voix

 

Les titres « sans titre » font référence aux arts plastiques plus qu’à la musique où il est rare de ne pas donner de titre. La référence aux arts plastiques signe une manière non musicale d’aborder la musique. Le procédé a été poussé jusqu’à l’absurde, puisque ce sont les sous-titres qui deviennent les titres et que le titre éponyme redouble la chose.

La pochette existe en 4 versions :

 

1990

AVEC, mini Cd

 

 

 

 

 

 

Eric Cordier : Vielle à roue,  Traitements, enregistrement, … conception et organisation

Vincent Legrand : Archet sur Guitare, guitare bass et traitements

Vincent Vivien : Clarinet, Bass Clarinet.

+

Luc Thiburs : Gravure

Lionel Thiebaut : Acordéon Diatonique & bombarde

Jean-Yves Delamer /JYD : Chant

Mélina Doudoux : Photos

 

Sordide Sentimental – SS MCD 003

Edition limitée à 800 copies numérotées

Packaged in a 19,5×28,5, 20-page booklet with a hand-numbered also insert.

Notes de livret : Les lignes qui suivent, donnent quelques éléments permettant d’éclairer la démarche que nous avons voulu développer dans cet enregistrement. Nous nous attacherons peu à la structure musicale, qui s’écoute d’emblée. Ces lignes donnent avant tout les éléments qui constituent la forme musicale, et que l’auditeur ne peut percevoir.

1 Non répertorié au catalogue (Architecture de l’air), utilise un accordéon diatonique (traditionnel). Cette pièce est basée sur l’alternance de deux types de jeux opposés. Le premier met en valeur la capacité qu’a cet accordéon de produire une inspiration (en utilisant les soufflets sans actionner les clefs ni les anches), insufflant un aspect organique et s’opposant à l’expiration développée dans un second temps. Ces expirations, paradoxalement pléthoriques, sont constituées de la répétition d’un seul accord, cette pléthore s’opposant elle même au jeu à vide. Les seules vibrations de cette pièce sont produites par les nuances dans le jeu de l’instrumentiste.

2 Non répertorié au catalogue (Vide), plus long, se développe en plusieurs phases. Les instruments utilisés, le sont sans aucun traitement, si ce n’est deux interventions ponctuelles. La vielle a subi un bouclage à la fin. La bombarde dont le jeu est fragmenté et le timbre granuleux, a subi un fractionnement par micro-montages et traitements électroniques. Pour les autres instruments, tout le travail est en amont de l’enregistrement. Le morceau se décompose en six phases.

Les trois premières : 0`50″, l’40 », 0’50 », concernent plus spécialement la vielle à roue, dans différents jeux particulièrement peu usités.

Le jeu exploite la caractéristique principale et singulière de cet instrument, à savoir de posséder un archet circulaire permettant de produire un son continu.

Phase 1. Bourdons accordés, dans un jeu continu.

Phase 2. Les deux bourdons très lentement et légèrement désaccordés produisent des battements. La vielle est ici manipulée à la manière d’un synthétiseur analogique , les bourdons fonctionnent de la même façon que deux générateurs d’ondes, accordés, auxquels on va appliquer un désaccord (fonction detune) afin d’enrichir le son.

Dans la seconde moitié de cette phase, l’introduction de la clarinette basse, travaillant dans la même tessiture (et formellement linéaire) s’en trouve non perceptible.

Phase 3. Elle poursuit le travail d’enrichissement du son par l’introduction de dissonances à partir des deux instruments. Sur la vielle l’amplitude des bourdons est fonction des frottements de la roue (l’archet) et de la tension des cordes (la hauteur). Ces sons polyharmoniques sont obtenus en limitant l’amplitude de vibration des cordes.

Phase 4. Elle voit l’arrivée d’éléments mélodiques joués à la clarinette basse ainsi qu’à la vielle. Sur celle ci le jeu utilise les chanterelles et les clefs mais en donnant une inclinaison de façon à ce que les clefs, au repos, effleurent les cordes. Sur le plan technique, il s’agit de l’utilisation du même procédé que celui décrit dans la phase précédente, mais ici les dissonances sont multipliées par le nombre de clefs intervenant. On ne peut plus parler simplement de dissonances, mais d’un développement d’harmoniques à tel point qu’il faudrait plutôt parler d’une altération du son, proche du bruit blanc.

Phase 5. L’instrument dominant : la bombarde joue une gavotte de Basse?Bretagne précédée de son appel non traité.

Phase 6. Retour à la vielle dans le jeu décrit à la phase 4 et mise en boucle.

3 Non répertorié au catalogue (Expression de l’univers de la couleur), utilise la vielle comme instrument principal mais à l’opposé du précédent morceau, elle est fortement traitée par des procédés électroniques. Dans l’introduction, ceux ci vont jusqu’à lui faire perdre son identité. Dans la seconde partie, elle est associée à un chant traditionnel indépendant de manière à associer deux espaces sonores différents.

4 Non répertorié au catalogue (Cosmogonie rose vent), le parti pris est ici inverse. Au lieu de tirer des instruments traditionnels vers des formes musicales qui ne le sont pas, nous avons pris un instrument non traditionnel  pour le faire glisser  vers la musique traditionnelle avec les mêmes moyens que dans les morceaux précédents : détournement instrumental et traitements numériques permettent de modifier le phrasé et le timbre.

5 Sans retour, mélodie d’aspect traditionnel à l’accordéon diatonique. Elle ne l’est pourtant pas plus que les autres et a été composée récemment. Elle existe également dans une version avec voix et guitare. Seule la chaleur de son interprétation est peut-être traditionnelle.

 

Notes de livret par JP Turmel :

Avertissement 

 POST MODERNES ET TRANS?NOSTALGIQUES

« De même que chez Platon réminiscence et regret sont les formes rétrospectives du désir, de même l’espérance d’un passé à venir et le retour à un futur déjà advenu sont deux formes paradoxalement réciproques d’une même nostalgie. »

VLADEMIR JANKELEVITCH « l’Irréversible et la nostalgie » (1974)

 

Etant pris au piège d’une détestable lucidité, les échappatoires anciennes nous sont interdites, ne nous sont plus d’aucune utilité. Fin du recours à la nostalgie, exit « l’âge d’or » et l’exotisme. Nous savons qu’il n’est aucun au delà, ni paradis, ni par delà les frontières, en aucun temps et nul lieu.

Même le recours au futur s’avère vain: l’idéologie en se brisant aux récifs du réel a sonné le glas des demains qui chantent et des utopies. L’histoire est morte entraînant dans sa chute, et passé, et futur, un désastre permanent prenant forme d’éternité. Par?delà son caractère novateur apparent, la culture industrielle fut la dernière nostalgie authentique et sa musique le dernier folklore.

Ensuite vinrent les POST MODERNES… Ils occupent encore la scène.

N’ayant plus aucun référent précis AUQUEL CROIRE, ils semblent partout. Sceptiques, leurs adorations sont néanmoins infinies. Leur univers en pièces (en ruines), présents hypothétiques, semblent aller à rebrousse temps, venant d’un futur indéterminé en direction d’un passé aussi imprécis que composite.

« Pour RANSON, en revanche, la longue remontée du fleuve avait été une expédition dans son propre avenir, dans le monde d’un temps volitif ou les images du passé se reflétaient libres des exigences de la mémoire et de la nostalgie… »

J.G. BALLARD « Sécheresse » (1965)

 

POST MODERNES, TRANS-NOSTALGIQUES… UNACD est de ceux qui matérialisent cette convergence entre une modernité qui implose et un folklore réifié à l’extrême, atomisé… Leur doute systématique et leur sens du dérisoire avec pour contrepoids un authentique amour des CHOSES considérées dans leur solitude, extraites de leur gangue culturelle et séculaire.

Une nostalgie quasi inidentifiable, réduite à ses principes actifs, non plus perçue comme but mais comme moyen, comme drogue (ou remède) au vide existentiel originel. Un palliatif épicurien (car passant par les sens) à la disparition des systèmes religieux et idéologiques.L’adhésion à quelque culture que ce soit (à aucune tradition) n’étant plus possible, alors même qu’en subsiste le besoin (exaspéré par la disette), nulle fuite possible hormis le recours aux fragments juxtaposés, superposés, confrontés, en de subtils collages où la règle première (quoique non formulée) semble être LA NECESSITE du « DEJA VU », impression énervante s’il en est, car juste en deçà du seuil de perception consciente.

Ambiances ultra pointillistes où dominent l’effritement, l’émiettement.

La matière se divisant à l’infini, se mue en ce sable dont est fait le temps, en cette poussière où toute vie retourne.

ROUEN le 05 03 1990

Jean Pierre TURMEL

 

Un chronique géniale dans le magazine Ritual page 13.

 

1991

Anthropometrie LP

 

 

 

 

 

 

Participation à la compilation :   The Eye Decay Theory Or When The Garden Becomes A Time Lapse, Lp. Label : Johnie Blue…, (Portugal) NOY 001

 

 

Patrick Sorel : Violon, Eric Cordier : Processing on « Sound designer » (ancêtre de Protools) montage, mixage. Réalisation à Grame Lyon

 

1992

Long Lut De Bélemnite, CD

 

 

 

 

 

Vincent Legrand : Guitare, Guitare Preparée, Bass, Harmonium

Vincent Vivien : Clarinette, Basse Clarinette, Percussion

Eric Cordier : Traitements (tracks: 1 to 6), Vielle à Roue, Luth Africain…

Christophe Grosos : Orgue, Harmonium, Epinette-Sarangi, Guitare Acoustique, Percussions

Luc Thiburs : Gravure

Mélina Doudoux : Photos

 

Photos de Mélina Doudoux (abbatiale Saint-Ouen de Rouen)

 

La gravure de Luc Thiburs de 30×60 cm

Performance de 1000 tirages, ce qui est inédit pour un graveur, réalisée à deux, du 31 10 91 au 04 05 92 à raison d’un à deux jours par semaine. Matrice évolutive en jouant sur son usure, et sur l’encrage, avec un dosage changeant soigneusement calculé pour aller du noir au blanc en passant par le bleu. Les 400 premiers tirages sont noirs, puis passe au bleu (la photo bleue ci dessus doit être vers le n° 600) puis au bleu claire pour avoir une dizaine d’exemplaires presque blanc.

 

Malgré la qualité de la réalisation, une partie du stock a été détournée par malveillance, avant même d’être vendue, et sans doute déteriorée ou détruite.

 

Long Lut de Bélemnite :

Intentions 

Texte rédigé en 1992 avec Christophe Grosos et joint au dépot SACEM.

Ce texte est important car il annonce certains des travaux musicaux que je développerai ultérieurement tel que le micro comme instrument, l’espace dynamique… Dans ce texte de 92,  j’ ai fait l’ajout d’un petit paragraphe sur la partie « oulipiene » du travail dans l’utilisation des anagrammes, des acrostiches et des références des titres. A l’époque, seul le critique Rigobert Ditmann avait relevé les allusions.

Introduction

« Depuis toujours, la préoccupation majeure de la musique est le temps. L’espace n’y a fait irruption que très récemment principalement en électroacoustique mais d’une manière figée, généralement dans la succession de lieux/espaces sans véritables liens. Parallèlement, dans le domaine de la variété, l’utilisation de modules de réverbération a été développée pour créer des espaces non réalistes par la superposition de différents espaces artificiels (pour favoriser la distinction des instruments). Lorsqu’il y a mouvement, il concerne le plus souvent celui de la source sonore. Combien de fois n’avons nous pas entendu : trains, voitures, rames de métro avec l’effet Doppler caractérisant ce déplacement (à tel point que l’effet Doppler fait désormais partie de la « panoplie » des outils de traitements sonores pour signifier artificiellement le déplacement).  »

Long Lut de Bélemnite consiste en l’exploration de différents lieux et d’espaces dans une problématique musicale :

– 2 églises

– 1 village

– des instruments : orgue, harmonium, cloches

– le studio de composition

Nous aborderons successivement ces points d’ensemble avant d’entrer dans des détails plus précis pour la plus grande partie des pièces.

 

Le microphone comme instrument.

Avant toute chose nous aimerions attirer votre attention sur la conception musicale dans laquelle s’est construite ce travail sur l’espace. C’est celle de Schaeffer pour lequel le microphone est considéré comme un instrument. Dans certains cas nous avons jugé utile de préciser les prises de sons les plus caractéristiques lorsqu’elles étaient possibles à transcrire par écrit. Mais l’enregistrement ne concerne pas seulement la prise de son et un travail très important est effectué avant celle-ci. Il s’agit d’une part du travail en fonction d’un contexte, ce que nous exposerons au point « Espace » et d’autre part de l’élaboration de la matière sonore elle même :

 

Au niveau du timbre, certains instruments sont  « préparés »

– Clarinette sur les n° 13 & 18 (abscence de la moitié du corps de l’instrument)

– Becs de clarinettes et saxophone utilisés sans le corps de l’instrument  n° 18

– Guitare Préparée  n° 12 &18

Des jeux particuliers sont appliqués aux instruments.

-Vielle à roue : jeu sur les bourdons  n° 14 &15, objets frottés sur la roue  n° 18

-orgue n° 2

Jusqu’au détournement pur et simple de l’instrument :

-Luth Africain : archet sur un instrument à corde pincée  n° 10

-Cloches : n° 7

Précisément ici le parti-pris esthétique est de n’utiliser aucun traitement altérant le timbre original. Les principaux traitements utilisés sont :

– Réverbération

– Transposition (combinée) DHM 89

– Micro-montage :  logiciel Sound Designer.

– Traitement et montage au magnétophone.

– Réinjection

Les altérations, lorsqu’elles sont présentes ne le sont que du fait du travail sur l’instrument lui-même (évoqué plus haut).

 

L’espace

Espace statiques, les lieux : 

Prenons un exemple : un instrument donné ne réagit pas de la même façon s’il est joué dans un espace clos comme une église où la réverbération soutient l’émission sonore ou s’il est joué en extérieur où l’instrumentiste doit « forcer » le jeu pour compenser l’évanouissement du son dans l’air. Nous avons beaucoup travailler en fonction de ce principe.

Le studio : le lieu traditionnel de la musique électroacoustique a été  « implosé » dans un renversement complet de ses fonctions. Les outils d’enregistrement multipistes ont été déployés par exemple à l’intérieur de l’église. Le studio par ses machines, ses portes est lui même devenu un objet  sonore, (à écouter entre chaque morceaux de NPAI) alors que la cabine de prise de son fut en définitive peu utilisée. Et même, dans ultime contorsion, nous l’avons retourné sur lui même, comme un gant dans la mesure où nous nous sommes attachés à faire des prises de son de son environnement extérieur.

Enregistrement de la clarinette en extérieur avec un espace d’une dizaine de mètres entre l’instrument et les micros. Enregistrement du vent, des arbres, de la haie, des oiseaux (l’un des deux studios est situé en pleine campagne), de la porte extérieure.

Notre travail d’entomologiste n’allait pas s’arréter au studio. Les églises ont été au centre de nos prises de sons car à la fois elles présentaient les qualités acoustiques que nous recherchions pour enregistrer les instruments dans un contexte non aseptisé et à la fois elles contiennent des instruments souvent immobilier auxquels nous voulions nous affronter : orgue, harmonium, carillon. En visitant l’une d’elle, nous nous sommes aperçus que du cimetière, du clocher nous avions un fabuleux lieu d’observation du village et donc d’enregistrement. Voir n° 7 et 8.

 

L’exploration des instruments eux-mêmes. 

Le choix de l’orgue a été fait pour son timbre en fonction de deux particularités qu’il nous a offert : Rien à voir avec la sonorité classique, cet orgue est baroque, construit sans grande précision au cours du XVII° puis installé dans la chapelle en 1700. Ceci est l’origine de la seconde particularité de cet orgue, construit pour un édifice plus petit, sa « puissance » est un peu faible par rapport au volume de la chapelle. La conjonction de ces deux éléments donne un orgue n’ayant pas la « majesté » habituelle propre à l’instrument et le fait travailler dans un registre presque intime.

Cette intimité, en fait notre approche, nos prises de sons ne vont faire que l’accentuer. C’est plus l’orgue tel que l’organiste l’entend et non pas le public que nous proposons au public. Bien plus nous nous soyons efforcés d’entrer à l’intérieur de l’instrument : des micros ont été placés dans la partie supérieur du buffet, à la sortie des tuyaux. Le résultat donne un son direct parce que d’une part il n’est pas filtré par la cloison du buffet et d’autre part, il n’y a pas cette distance placée systématiquement entre l’instrument et les capteurs.

Je ne saurai dire si cet aspect répond à un simple soucis du timbre, si ce n’est encore que du domaine de la prise de son ou si nous sommes déjà dans le détournement de l’instrument. La frontière est résolument franchie lorsque la prise de son est effectuée sous le buffet lui même. Ici la question n’est plus de distance, mais bien plus de traitement du son, en révélant une partie de la sonorité de l’orgue qui est normalement soustraite à notre écoute, en révélant le jeu des soupapes et des vergettes…

Un travail similaire a été opéré sur les harmoniums, en allant les enregistrer de l’intérieur, posant des micro-contacts sur les pédales, les soufflets et capter toute la vie interne de l’instrument.

 

Espace dynamique

C’est plus particulièrement de mouvement dont il est question ici.

Le Désespéré est l’illustration d’un essai de résolution musicale d’une question incluant une dimension spatiale dynamique : Passage d’un espace n° 1 (extérieur) à un espace  n° 2 (intérieur, celui d’une église) avec un objet sonore (musical) : harmonium avec, ce qui est important, un changement de « point de vue » en continu.

Cet aspect est précisément décrit au n°8

 

La haye de Routot, Le site du traveling

Structuration de la succession des plages du disque

Long lut de bélemnite est structuré en trois parties d’inégales longueurs :

Propriétaire Actuellement Inconnu 26′ 48″

Térence 4′ 39″

NPAI 33′ 24″

L’abréviation de Propriétaire Actuellement Inconnu est PAI.

NPAI  est un sigle de La Poste signifiant N’habite Plus à l’Adresse Indiquée.

Le disque comporte 18 titres, c’est-à-dire autant que le titre de l’album comporte de lettres pour constituer un acrostiche de ce titre. Il est  lui même l’anagramme de : « un billet de logement », la suite de la locution : « un nom à coucher dehors avec un billet de logement ». La conception de l’album était donc déjà programmée lors de la réalisation  du mini album « avec ».

Les sous-titres de cet album sont toutes des oeuvres de Albrecht Dürrer de même qu’à l’opposé ceux de « avec » étaient des titres d’oeuvres de Yves Klein.

L’album est structuré en deux parties opposées : PAI et Non-PAI (NPAI), répartis autour d’un axe : Térence.

PAI 

La problématique de PAI est simple, il s’agissait de transférer le studio dans la chapelle de Honfleur en opérant la dissection de l’orgue décrite ci-dessus (accessoirement celle de l’harmonium également n°5). Ce type de dissection sera prolongé ultérieurement dans le projet Tore. Toutes les pièces tournent ici autour de l’utilisation de l’orgue dans un grande unité :

Unité de lieu : La Chapelle de l’Hôtel Dieu

Unité de temps, les prises de sons ont été effectuées dans la soirée du 24 au 25 11 91

Unité instrumentale dans l’orgue pivot.

Non-PAI

A l’opposé, NPAI est construit dans la multiplicité, celle des pièces qui renvoient à une multiplicité de lieux et d’espaces, multiplicité instrumentale, multiplicité de registres : traitements, évocations, constructions… Et sur un autre plan, toutes ces pièces sont considérées comme autant de pseudo-citations, enserrées dans des « guillemets » technologiques. Guillemets comme autant de mini-citation ou auto-référence du médium, dans un studio fragmenté, explosé dans une narration non réaliste d’ouverture et de fermeture : des portes du studio lui même aussi bien que de ses micro-portes, celles des magnétophones ainsi que les mises sous tension, démarrages et arrêt de ces même magnétophones supports de la musique.

Térence l’axe centrale est paradoxalement un exercice de style ou la musique y est électroacoustique dans le plein académisme du terme.

L’arbre creux du cimetière.

PAI

Pièce n° 1   Lucrèce 1′ 59″

L’orgue est joué seul en cluster sur les jeux les plus puissants de façon à obtenir une saturation acoustique de l’instrument dans l’espace de l’église.

Pièce n°  2   L’ Ouverture du cinquième et du sixième sceau 5′ 13″

Accentuation du travail du timbre entrepris par la prise de son et intervention sur l’enveloppe. Pour mieux expliquer ce que nous avons fait ici, nous allons avoir recours à des paramètres présents sur les synthétiseurs ou échantillonneurs. En tant qu’ancêtre, l’orgue peut être comparé à ces instruments. Chaque orgue est la synthèses de plusieurs instruments caractérisés par un jeu (ou registre). Le plein jeu fonctionne comme la synthèse (additive?) de plusieurs jeux simples. A chaque touche correspond pour chaque jeu, un ou plusieurs tuyaux de différentes matières (bois, métal) donnant des couleurs de timbre différentes. Différences également dans le mode de production du son par les bouches (flûte) ou anches (cromorne), fermées ou non. A l’instar des instruments modernes, l’orgue possède plusieurs « banques de sons » : les jeux qui sont ici : flûtes, cromorne, plein jeu, trompette… Notre travail sur le timbre a consisté en la combinaison de tous ces différents paramètres.

Pour l’enveloppe, l’orgue ne posséde pas de clavier dynamique. Cependant, il est possible de la travailler  comme sur tout synthétiseur (et parfois échantillonneur) avec le registre. Le registre est une tirette de bois, sorte d’aiguillage qui permet d’envoyer le vent dans le tuyau déterminé. En utilisant cet outil, pendant le jeu, on opère un détournement dans lequel le registre permet de faire varier en continu l’arrivée du vent de rien au maximum ou créer des vibratos non réguliers. Deux manipulateurs sont nécessaires simultanément : l’un au clavier, l’autre aux registres.

Pièce n° 3   Nu 1′ 13″

Réitération de la première partie de la pièce n° 1

Pièce n°  4   Groupe de lansquenets 4′ 24″

Travail avec le registre « cromorne », un jeu à anche fournissant un timbre très proche de celui de la clarinette basse. Le travail de traitement sonore, pour encore rapprocher les timbres; à consisté en la création d’un hybride par transformation des 2 instruments à la fois (renforçant ainsi encore la cohérence créant un troisième instrument à la croisée de deux timbres déjà très proches)

Pièce n°  5   Lévrier 7′ 46″

Ici il y a une petite irruption de l’espace. Les deux instruments étant enregistrés simultanément en multipiste, l’orgue est « repris » par les micros de l’harmonium et ainsi l’espace de la chapelle réapparait dans la distance entre les deux instruments. L’organiste opère seul le travail sur le timbre et l’enveloppe décrit au n° 2. Outre des micro normaux, des micros contacts ont été posés sur ou près des pédales pour capter le jeu de l’instrumentiste avec les grincements du bois de ces pédales. La palette de sons de l’harmonium est donc constituée de :

1 le timbre normal produit par les anches des registres.

2 le vent des soufflets

3 le grincement des pédales

4 les pédales comme percussions

5 le son des clefs et déplacements du clavier

Pièce n° 6   Ulrich Varnbüler 6′ 11″

Le travail de traitement sonore est l’un des plus manifeste et à l’opposé du 4. Ici point de fusion mais un travail de dédoublement des instruments est opéré pour les amener à dialoguer avec eux mêmes.

L’organiste opère ici seul le travail sur l’enveloppe décrit au n° 2.

Pièce n° 7   Térence 4′ 39″

Les prises de sons ont eu lieu à La Haye de Routot, dans une volonté de prise en compte de la partie supérieure de l’église :  le clocher. Prise en compte également du paysage sonore du village de ce point d’observation privilégié. Les activités du village ont été saisies lors de la prise de son des percussions : déplacement d’une Mobylette, aboiements des chiens (en fait induit par notre présence dans le clocher).

Les autres sources sonores sont :

– Les cloches utilisées comme instrument de percussion

– l’angélus

– et surtout le mécanisme électrique de mise en mouvement qui bien qu’important n’est généralement pas perçu du sol. La prise de son de proximité constitue un rapprochement comparable à celui d’une loupe pour le sens de la vue. Après écoute, une prise de conscience s’est effectuée chez certains auditeurs qui ont remarqué que ce mécanisme de cloches faisait partie de leur paysage sonore quotidien mais ils n’y avaient jamais prêté attention avant.

NPAI Pièce n° 8 Le Désespéré 4′ 19″

Le paysage sonore est toujours celui du village de La Haye de Routot, le même donc que pour Térence mais ici, une dizaine de mètres plus bas, au niveau du cimetière. Les activités du village ne sont pas plus importantes : déplacement d’une automobile toujours les aboiements des chiens et une forte présence des oiseaux.

L’essentiel du propos de cette pièce réside dans le mouvement.  Depuis toujours, la préoccupation majeure de la musique est le temps. L’espace n’y a fait irruption que très récemment principalement en électroacoustique mais d’une manière figée, généralement dans la succession de lieux sans véritable lien. Parallèlement dans le domaine de la variété, l’utilisation de modules de réverbération a été développée pour créer des espaces non réalistes par la superposition de différents espaces artificiels (pour favoriser la distinction des instruments). Lorsqu’il y a mouvement, il concerne le plus souvent celui de la source sonore. Combien de fois n’avons nous pas entendu : trains, voitures, rames de métro avec l’effet Doppler caractérisant ce déplacement (à tel point que l’effet Doppler fait désormais partie de la « panoplie » des outils de traitements sonores pour signifier artificiellement le déplacement).

A l’inverse, avec Le Désespéré, nous avons entrepris de déplacer le point de vue de l’auditeur. Nouveauté peut-être au niveau de la musique sur support, mais ici encore la grande banalité de la chose au niveau de l’expérience commune nous frappe. Tout homme et même tout animal est familier de cette expérience mais la médiatisation d’un si simple processus nous touche, alors même que c’est d’une grande banalité dans le domaine de l’image car il ne s’agit que d’un simple travelling. Et puis au cinéma le son est bien souvent reconstitué dans un deuxième temps. Grande banalité que nous n’avons cependant que peu entendu. Et en aucune façon cela n’a à voir avec le mixage entre les prises de sons de deux lieux distincts, pris suivant deux points de vue distincts et deux points de vue seulement. Le processus s’effectue d’un espace A (extérieur) vers un espace  B (intérieur, celui d’une église) avec un objet sonore (musical) : harmonium, dans un déplacement qui fait que le point de vue est soumis à des micro-changements en continu. Enregistrement effectué sur DAT en une seul prise : pas de possibilité de montage ni de mixage qui ne saurait se faire remarquer.

NPAI Pièces n° 9 à 18

L’essentiel des choses a été présenté aux points : « La question de la forme » et « L’espace » mais quelques précisions cependant : des travaux spécifiques ont été faits sur l’espace en travaillant des juxtapositions et superpositions d’enregistrements dans différents espaces : n° 10, 14 & 15. En 14 & 15  Le jeu sur les bourdons permet d’échapper au tempérament fixe du clavier de la Vielle à roue n° 14 &15 et travail un peu équivalent mais plus poussé sur la roue  (n° 18).

On peut ajouter que la narration par guillemets est organisée comme suit : ouvertures/fermetures enserrées entre un début : mise sous tension du coeur du studio le magnétophone multipiste et une fin la sortie de bande du multipiste et sa mise hors tension. La structuration en pseudo-citations entre « guillemets », offre une musique fragmentée, et comme arrachée au monde, comme le geste de l’archéologue qui ensache les objets recueillis. La musique est tranchée : cut des flots musicaux qu’on ne peut qu’interrompre car la musique n’a jamais l’intention de s’arrêter. C’est toujours le compositeur qui lui ménage qui une sortie, qui une fin, dans le pire des cas un shunt. Ici elle est coupée dans son flux même. C’est un peu un devoir que celui d’enregistrer notre monde qui s’enfuit, se dégrade, s’effondre avant qu’il ne soit trop tard.

 

Chronique : Hyperreal

UNACD Long Lut de Bélemnite (Prométhée PR001CD) CD 65 minutes. UNACD’s latest recording / object is a wonderful work of art. It’s packed in a handprinted cover containing three very special printed etchings. They are slightly different in every copy (depending on the stage in the printing process) and have been exhibited. Inside this work of art there is a CD: the music is very minimal, mainly clarinet, guitar and percussion improvisations. The sound is very clear, but there are no actual compositions, making the music uncontrolled. The instruments are so sparely used that it doesn’t attract my attention. It’s not very captivating, though it may be worth having for the cover!