La Lisière

1ère diffusion le 2 mai 1991 – durée 1h 20

La Lisiére – Eric Cordier – France Culture, Nuits Magnétiques, 02 05 1991 by Ericcordier on Mixcloud

 

La lisière d’une forêt est un lieu multiple. Elle côtoie plusieurs mondes, en traverse d’autres, et constitue, suivant les époques et les usages, un endroit d’échange ou de clôture engendrant une grande richesse de représentation dans notre imaginaire.

La lisière ne s’offre plus de la même façon à l’homme : autrefois elle était fortement en contact avec lui, elle était une limite de terroir que l’on traversait (mais sans aller très loin),  elle était un lieu de passage, de circulation et d’échange. Désormais des routes sillonnent la forêt et son coeur est devenu paradoxalement plus accessible. Conséquence, de ce changement de rapport au monde forestier, la lisière d’une zone d’échange est devenue  lieu de refuge, de relégation.

Le propos de l’émission est d’interviewer des personnes vivants à la lisière d’une forêt, ainsi que quelques historiens et spécialistes, pour préciser les spécificités de cette situation géographique. En l’occurrence, il s’agit de la frontière sud de la forêt de Brotonne en Haute-Normandie qui de plus est une limite départementale.

 

Au niveau végétal, elle constitue le passage du milieu boisé aux pâturages et aux champs. Dans l’imaginaire des ruraux la lisière garde encore une image forte de limite derrière laquelle se trouvait l’interdit ou surtout l’inaccessible. Endroit marginal par définition, on le ressent encore dans les noms des hameaux : le nouveau monde, le bout du monde.

La lisière étant frontière naturelle, elle délimitait un obstacle (la forêt) et par voie de conséquence, pour le contourner, elle constituait elle-même la voie la plus courte. Ainsi, il reste encore les traces de ces anciens chemins. J’ai dit « contourner » car on n’entrait pas, on ne traversait pas les forêts. Les voies de pénétrations qui les traversent de nos jours sont des ouvrages récents. Seuls les nobles, le roi y entrait en équipage, à l’occasion de la chasse. La forêt de Brotonne était territoire de chasse royale (d’où le fait qu’elle soit forêt domaniale aujourd’hui). Sinon elle servait de refuge aux brigands dans une tradition qui ne s’est éteinte que récemment.

L’importance de la lisière était alors considérable car ce qui était connu du paysan n’était qu’une étroite bande, large de quelques centaines de mètres, ou il menait paître ses animaux : vaches, chèvres et surtout les cochons qui y vivaient une grande partie de l’année d’une façon semi- sauvage. C’était également le lieu où l’on allait cueillir des plantes pour divers usages : complément alimentaire, médecine.

Or actuellement, ce lieu constitue un paradoxe car d’une certaine façon cette lisière est le point le plus reculé de la forêt. La structure routière et vicinale du XXe siècle privilégie, à l’heure de l’automobile, la pénétration et la traversée de la forêt au détriment de son contour ou tous chemins semblent avoir disparu où tout au moins ne sont plus goudronnés. Ainsi la lisière bien que proche de l’homme, est devenue difficile d’accès (hors d’atteinte en automobile) et constitue notamment le meilleur refuge des grands animaux (comme endroit le plus calme et proche des zones de gagnage).

Cette notion de frontière est encore sensible actuellement car en tant que frontière naturelle, on peut remarquer une certaine corrélation entre les forêts et nos limites départementales.

La lisière en tant que limite constitue une ligne, ligne entre deux espaces opposés. Mais cette ligne existe-elle en elle-même ?  Peut-elle être suivie, plus ou moins difficilement ?

Elle permet ainsi de constituer une véritable coupe au travers de laquelle se dessinent tous les aspects d’un terroir riche en contraste : la forêt, le bois, le chemin, les essarts, le champ, le pâturage, et au niveau du relief : passage du plateau aux terrasses au sud et passage des terrasses aux alluvions récentes ailleurs, le fleuve, le marais, la tourbière… Comme limite départementale également, elle peut constituer une zone de refuge pour les interdits de séjours.

Lisière
Lisière

Réalisation : Hélène Pommier ; mixage Josette Etier ; prise de son Philippe Sourdon

Avec, par ordre d’apparition : Patrick Sorel (homme des bois, Martainville (76)), Marie Meslun (éleveuse, La Haye Aubrée (27)),  XX (garde forestier, Vatteville la rue (76)), Robert Fossier (historien, Paris 1), Bruno Penna (exploitant forestier et archéologue, La Mailleraye sur Seine (76)), M. Lelou (ancien maire de Ste Croix sur Aizier (27)),  M. Volais cultivateur, Le Torp, La Mailleraye sur Seine (76)), M. Hanchard (réfugié des bombardements dans une carrière, La Haye de Routot/Bosgouet (27)), M. Kerman (riverain, Etreville  (27)), M. Lefrançois (ancien bûcheron et braconnier (27)).

Musique : Coil, DDAA, Nurse With Wound, SPK, Etron Fou Leloublan & Fred Frith… (merci aux musiciens qui m’ont répondu)