Joséphine Pelfrêne, paysanne en Normandie

Ma grand mère aux alentours de ses 75 ans est venue habiter dans mon village pour se rapprocher de ma mère. Elle a toujours été très bavarde et je me souviens qu’aller chez elle était une corvée tant elle nous parlait de gens qu’on ne connaissait pas, et faisait des commérages sans intérêts… jusqu’au jour où, au milieu des années 90, j’ai décidé de diriger les entretiens pour le plaisir, puis micro en main afin de lui faire raconter sa vie d’agricultrice. Il s’en est suivi une dizaine d’heures d’enregistrements.

Ma grand mère idéalise sa vie. Elle donne une impression d’aisance alors que la ferme était très modeste et les conditions de travail difficiles sur des terres très pauvres, un marais dans un méandre de la basse Seine. Mes questions visent souvent à réévaluer les choses, les replacer dans un contexte plus vaste dont elle n’est pas consciente. Il ne faut donc pas prendre au pied de la lettre son optimisme et il faut le décoder au prisme de mes questions. Ma grand mère a si peu voyagé qu’elle peut énumérer l’ensemble de ses voyages. Elle est si peu sortie de sa ferme que toute sortie était un événement. C’est à 70 ans, lors d’une promenade dominicale qu’elle a découvert que le fleuve Seine coulait à 500m de chez elle. Son mari le savait bien évidemment, ses fils également car ils allaient chasser dans les bois des coteaux de Seine. Moi enfant, j’allais dans ces même bois et au bord de la Seine quand je venais en vacances chez elle, mais elle, en tant que femme ne pouvait se permettre de « trainer » à l’extérieur de la ferme. Et puis, m’a t-on dit, « de toute façon il y avait tellement de travail à faire dans cette ferme de 30 hectares qu’il n’y avait pas nécessité d’aller se promener ailleurs »!

Formatée par une éducation chrétienne elle porte des jugements hâtifs et acerbes en matière de mœurs. Cela devient cocasse lorsqu’elle décrit mon grand-pére en coureur de filles avant leur mariage. Tout les oppose, lui ancien bourgeois de la ville a fait des études, mais il est victime d’une déchéance sociale à la suite d’accidents de la vie et de mariages ratés. Leur mariage plus qu’improbable va pourtant se réaliser les contraignants à une cinquantaine d’années de vie plus ou moins commune ou contrainte.

La manière de parler paysanne de ma grand mère, lui fait très souvent parler des humains comme elle parle des animaux, comme si ce peuple de la campagne était un troupeau de bétail mené par quelques riches bourgeois, industriels, exploiteurs ou collaborateurs, et elle le décrit avec un naturel dont est exclue toute analyse politique. Les résistants sont présentés comme des bandits plus que les allemands avec leurs réquisitions ! Dotée de peu d’éducation, elle manque souvent d’outils pour analyser le monde, mais elle décrit avec profondeur son petit bout de monde à elle.


Années de réalisation : 1995, masterisé en 2016

Première diffusion : dans la nuit du samedi 15 au 16 octobre 2016 (vers 3h du matin) FESTIVAL [SONOR] # 9 à Nantes

Partie 1

Son enfance de 1914 à 1929, extraction de ses parents, la vie dans cette ferme du marais, la vie d’un oncle…

Partie 2

Quelques voyages (le premier ne fait que 6km), les bretons de Quillebeuf, les pêcheurs, la famille de mon grand père (son mari), son mariage, sa vie de belle fille en 1936 et un peu de racisme.

Programme/horaire du festival

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Photos Pierre Cordier